Il est des artistes où le parcours de vie est aussi important que leurs œuvres en tant que telles. C’est le cas de Goudji, un orfèvre de renom, exploitant or, argent et pierres brutes, afin de créer une féerie d’objets liturgiques ou profanes. Plein phare sur cet artiste qui scintille de mille feux !
Douceur, patience et bienveillance … voilà le résumé du caractère personnel de l’artiste. Sa vie en quelques mots, afin de mieux comprendre son parcours et donc ses œuvres. De sa ville natale – Batoumi en Géorgie – à Paris, Goudji s’est révélé et n’a jamais rien perdu de son objectif : créer de ses propres mains.
Géorgien, né en 1941 à Batoumi, Goudji vit avec sa famille – son père, sa mère et son frère aîné – dans un deux-pièces, sans eau chaude et sans réel confort. Le seul objet de valeur que la famille possède, tenu d’un héritage, reste un piano sur lequel il était obligé de faire ses gammes et ses arpèges. Sa mère le voyait musicien, lui se voyait peintre et sculpteur. Un jour de ses 8 ou 9 ans, sa mère lui avait donné l’argent du trimestre pour payer ses cours à l’école de musique. Malicieux qu’il est, il est allé à l’école d’arts plastiques payer un trimestre de cours de dessin. Pendant trois mois, il a donné le change ; le soir venu il faisait ses gammes sur le fameux piano familial, alors qu’en réalité il suivait ses cours de dessin. Cette force de caractère de faire ce qui lui semblait le mieux pour lui, de suivre ses rêves et ses objectifs, se révélera dans ses œuvres quelques années plus tard. Ne rien lâcher, telle pourrait être la devise de Goudji.
Ayant fui sa région natale pour se cacher du régime soviétique d’alors – nous sommes en pleine guerre froide, où Staline a la main mise sur l’URSS – il se retrouve à Moscou en semi-clandestinité. En effet, il avait été suspecté de vouloir fuir le pays sans y être autorisé, faisant de lui un potentiel traître. Malgré tout, il ne se laisse pas abattre et continue à vouloir créer. Reconnu dès son adolescence comme ayant de l’or entre les mains, c’est dans la capitale moscovite qu’il commence à confectionner des médailles, monnaies et autres décorations. Il avait été embauché dans un cabinet de création de prototypes industriels ce qui était bien loin de ses objectifs artistiques. Une fois arrivé à Moscou, il va faire la rencontre qui va changer le cours de sa vie : Katherine Barsacq. C’est la fille du directeur du théâtre de l’Atelier à Montmartre à Paris où elle tient le rôle d’imprésario auprès de troupes artistiques se produisant en Europe dont la Russie. Elle travaille également à l’ambassade française de Moscou, là où d’ailleurs Goudji l’a rencontrée. Il nous raconte que la première fois qu’il lui a parlé, la peur l’avait envahi. Non la peur sentimentale, mais la peur politique. Selon lui « les murs ont des micros ». Tel un conte de fée, au travers d’un mur, ils auraient commencé leur histoire. Ils se marièrent en 1969 mais Goudji vit en Russie et Katherine en France. Des milliers de kilomètres les séparent et il a fallu attendre 5 ans d’âpres négociations et l’intervention de Georges Pompidou en personne, le régime soviétique expulse officiellement Goudji de l’URSS, l’autorisant alors à regagner la France en 1974. Il arrive à Paris, prend une claque monumentale vu le décalage énorme entre les conditions de vie qu’il a connues jusqu’ici et l’ouverture de la France aux marchandises, matières premières et à la culture – il mettra trois mois à s’adapter. Goudji a accès à tout pour créer : or, argent, pierres, influences artistiques. Sa vie d’artiste commence alors dans les années 1970 et il n’en finira plus d’observer, de comprendre, de dessiner et de créer à la force du marteau et des enclumes ses œuvres.
Persévérant, obstiné et perfectionniste … voilà le résumé du caractère professionnel de l’artiste. Ses influences : les civilisations anciennes, qu’elles soient russe, celte, égyptienne, perse, romaine, grecque ou encore latine. Il installe son atelier au pied de la butte Montmartre et commence à marteler des fines plaques d’argent et d’or. Ses premières commandes semblent être religieuses, alors qu’a priori Goudji n’a pas une connaissance extrêmement poussée des religions. Sa première expérience pieuse remonte à l’âge de 17 ans, encore en Russie, il pousse les portes d’une église. Pris d’effroi, il voit sur un mur une peinture avec un homme barbu marchand sur l’eau… incompréhension totale jusqu’à ce qu’une dame, une paroissienne, présente à ce moment-là, lui explique la portée de cette peinture et sa signification. Dès lors, il reçoit des commandes d’évêchés, de cathédrales, d’abbaye pour remplacer le mobilier liturgique jugé souvent vétuste et inadapté aux processions. La cathédrale de Chartres sera son plus grand commanditaire avec la réalisation sur plusieurs années d’une vingtaine de pièces. Sans oublier, les fameux « GOUDJI » de Notre-Dame de Paris, sauvés in extremis de l’incendie survenu le 15 avril 2019. Il s’agit d’une cuve baptismale, d’une aiguière et d’un chandelier pascal. Ces trois œuvres en argent incrustées de pierres brutes ou semi-précieuses, avait été commandées à la base par l’abbaye de l’Epeau dans la Sarthe dans les années 1980. A la fin de cette décennie, le Fond National d’Art Contemporain – entité de l’Etat – rachète à l’abbaye ces trois objets qu’il reverse immédiatement à la cathédrale de Paris, l’Etat se mêlant au religieux dans un esprit culturel et artistique. En 1997, le pape Jean-Paul II s’en servira lors des baptêmes des JMJ.
Preuve que ces œuvres sont à la fois esthétiques, artistiques mais aussi cultuelles et utilitaires. Au-delà de la réalisation de cathèdres (siège de l’évêque dans les cathédrales), d’autels, d’encensoirs, d’ostensoirs, de navettes, de calices et autres croix processionnaires et pectorales, l’artiste créé également de l’art profane. Des commanditaires privés lui ont déjà commandé des plats, coupes, broches ou fibules, et des épées. En effet, des académiciens, au nombre de 15 au total, lui ont demandé la confection de leur épées, symboles de reconnaissance de cet artiste parti de si loin. Pour travailler ces œuvres, il confectionne également ses outils : près de 500 marteaux de poids, taille et forme différentes ainsi que 2500 enclumes, enclumettes et bigornes. Le tout l’aidant à marteler le métal, l’aplatir, le modeler, l’arrondir. Un artiste complet, créant alors outils, dessins préparatoires, maquettes et objets finaux.
Aujourd’hui et jusqu’au 5 janvier 2020 inclus, de passage dans l’Ouest de la France pour les fêtes de fin d’année, n’hésitez pas à pousser les portes de l’Abbaye royale de Fontevraud, où une grande rétrospective sur l’artiste présente près de 130 œuvres à la fois dans le chœur de l’église abbatiale et dans la chapelle Saint-Lazare. Une collaboration entre les équipes de l’Abbaye et l’artiste, l’occasion de lui passer commande afin qu’il réalise pour le Monument une Nativité, surnommée « L’Espérance » : en tout 9 sujets, représentant entre autre Jésus, Marie, Joseph, les trois mages, un berger, un âne, un bœuf et une colonne surmontée d’une colombe. Le tout réalisé en argent martelé en creux et incrusté de pierres brutes telles que la serpentine, la sodalite, le lapis-lazuli, le nacre, l’ivoire, le cristal de roche … (il travaille avec une trentaine de pierres en tout).
Admiration, scintillement, révélation … le public semble conquis à la fois par la vie de l’artiste, ses œuvres et lieu dans lequel elles sont exposées. A la nuit tombée, l’église abbatiale éclairée d’un bleu mettant en valeur sa voûte et muni des GOUDJI scintillants à la lumière artificielle braquée sur chaque objet, le visiteur est comme happé par la brillance qui met en valeur le chœur de l’abbatiale.
Une exposition faisant parti de Noël à Fontevraud, où le parcours scénique vous propose de vous transporter dans une visite féerique entre illumination, orfèvrerie et table de Noël, laissez-vous séduire. Ne disons-nous pas que l’émotion est dans l’inattendu ?
Pour en savoir plus, rendez-vous sur : http://www.fontevraud.fr/Planifier-sa-journee/Evenement/Noel-a-Fontevraud-art-ateliers
Johnatan Savarit
