… à la recherche des œuvres perdues !
Lui qui a toujours vécu dans son studio, qui n’a jamais voulu vivre comme une star, il s’est inlassablement mis au travail, la sculpture étant sa vie. Giacometti est ici présenté lors d’une exposition en cette année 2020, qui offre au regard du visiteur environ 140 œuvres. Cette fois-ci, loin des sentiers battus, l’on part à la découverte d’une partie de l’univers perdu de l’artiste lors de cette plongée dans le Paris des années 1920-1930.

Après un long travail étayé par une riche documentation, l’Institut Giacometti, a permis de mettre au jour des œuvres disparues lors des années 1920-1930. Œuvres inachevées, sans cesse détruites par l’artiste lui-même qui ne les considérait pas comme étant parfaites ou conformes à ce qu’il avait en tête, notre parcours de visite mêlent œuvres originales et reconstitutions. Un mélange fort bien réussi.
« Selon la légende, Giacometti, éternel insatisfait, détruisait généralement les œuvres qu’il était en train de façonner, mais cela n’explique pas la disparition de nombreuses pièces. Les œuvres dans le début de sa carrière, où il n’était encore pas ou peu connu, ont disparu purement et simplement ».

Expérience de visite. D’entrée de jeu, nous sommes accueillis par une reconstitution de l’atelier de Giacometti, sa fameuse caverne-atelier rue Hippolyte-Maindron. Comme si l’artiste venait de quitter son atelier, laissant derrière-lui ses tubes, sa matière et ses œuvres inachevées. Dessins et croquis ornant les murs de ce mini atelier d’à peine 20 m², dans lequel, Alberto s’est installé une paillasse pour se reposer. Simple lit sur lequel, nonchalamment, sont posés çà-et-là des journaux, poussiéreux. Disséminées absolument partout, aux quatre coins de son atelier, des dizaines d’œuvres sont l’évocation des talents de l’artiste et de l’évolution de ses de ces dernières. Une bien belle mise en bouche, qui donne envie de se perdre dans le dédale des salles de l’Institut.

Dans cette hôtel particulier du 14e arrondissement de Paris, l’on rentre ici dans l’intimité de l’artiste. Même s’il n’a jamais mis les pieds dans cette demeure, qui ne lui appartenait pas, nous nous immisçons dans un intérieur typique de l’époque des années 1920-1940. D’ailleurs, le propriétaire a bien connu notre artiste. Le lien est fait. Un lieu unique, une intimité réelle, mettant admirablement bien en valeur les dizaines de sculptures et les archives de cet Institut. Un petit bijou, bien loin des grands musées parisiens, que l’on aime découvrir. Il est vrai qu’en 45 minutes, le tour est fait, certes. Mais quel tour ! Œuvres, architecture des lieux et histoire de l’artiste s’entremêlent pour nous offrir un récit palpitant et une expérience de visite très agréable. Suivez-nous dans les pas de Giacometti…


Prenons le petit sas d’entrée où deux petites sculptures introduisent le talent d’Alberto. Après un droite/gauche, nous montons quelques marches. Là, nous stoppons notre progression pour nous engouffrer dans une petite pièce sur notre droite. Placardée de photos d’archives, entourée de vitrine dans lesquelles sont déposés des carnets de notes, de correspondances entre l’artiste et sa famille ainsi que de croquis, cette salle est une mise en bouche de ce que l’artiste est : un sculpteur inlassable, productif et insatisfait, recherchant toujours la perfection. Ce qu’il a en tête, il veut le coucher en plâtre. Toutes ces archives nous démontrent que bien souvent l’artiste détruisaient ses œuvres avant même de les achever. Les nombreux clichés ne correspondant pas aujourd’hui à des réalisations. « A la recherche des œuvres disparues », ce titre de l’exposition est annonciateur et révélateur.

Ces croquis et photographies sont la preuve que bien des œuvres ne nous sont malheureusement pas parvenus. On trouve ici autant d’esquisses que de dessins présentant aussi des sculptures jamais réalisées ou en cours d’exécution subissant des transformations non prévues à l’origine. Au centre, trône un curieux objet mêlant plusieurs médiums, une invention tout droit sortie de la tête d’Alberto. Entre sculpture et jouet, dans un mouvement de surréalisme ; la roue, la tige et un support en métal et cuivre s’imbriquent pour créer un objet unique et insolite.

Reprenons notre petite ascension vers le premier étage. Accueilli par un patio couvert, pavé de mosaïque, nous ressentons l’âme des lieux. Sublime. Deux portes monumentales sont installées le long d’un mur. Un travail surréaliste de l’artiste, révélant sa mouvance.

Quelques pas plus loin et nous entrons dans le salon de lecture et la bibliothèque. A notre gauche, posée sur un socle, nous accueille l’artiste lui-même dans un autoportrait en plâtre.

Au milieu de la pièce, trône une œuvre, oubliée, perdue et aujourd’hui reconstituée grâce à des archives qui attestent de son existence fut un temps. « L’oiseau silence », cette drôle de construction, mêlant monde animal et monde végétal, entre bois et plâtre. Réalisée en 1933, l’oiseau silence a été créé dans la période surréalisme de Giacometti, combinant humain et animal dans un tourbillon érotique des personnages représentés.


Dans le corridor suivant, deux œuvres se détachent sur un fond blanc. Posées sur une estrade, une sculpture reconstituée côtoie une sculpture originale de l’artiste. Ici, le Mannequin a rendez-vous avec la Femme qui marche. Le mannequin, parfaite reconstitution, car en réalité, cette sculpture a servis de base pour la femme qui marche. Le Mannequin n’existant plus officiellement, l’Institut a voulu lui redonner vie afin de faire comprendre la démarche artiste d’Alberto Giacometti. Entre Juin 1933 et aujourd’hui, l’œuvre renaît. La présence de la figure humaine reste importante. Notre œil cherche automatiquement à reconstruire le visage. Malheureusement, par faute d’archives et de correspondances, ses œuvres sont mal connues et restent non identifiables.


Au fond, dans le salon donnant sur la rue, trois œuvres sous vitrines posées sur des socles permettent d’apprécier les formes des sculptures.

En tournant autour, nous voyons une imbrication de formes géométriques, préfigurant ainsi un changement de préoccupation. Losange, carré, angles, tout un nouvel univers abstrait s’ouvre à lui dans les années 1930.


La présentation de ces œuvres se termine par un dernier corridor dans lequel se trouve deux œuvres, dont une érotique, où deux corps s’enlacent, s’imbriquent, s’entremêlent. Indissociables, unis, pétrifiés, ils apparaissent ne faire qu’un.

Bien loin des figures filiformes connues de l’artiste, nous entrons ici dans son intimité et ses premières années de création dans son atelier parisien. Ici, commence l’énorme carrière de Giacometti, depuis l’influence de son père dans sa maison natale en Suisse jusqu’à la notoriété trouvée aux côtés d’artistes comme Matisse, Breton, Dali ou Ernst, il envoûte de part la composition de ses sculptures. Un bien beau voyage qui s’est offert à nous.

Quelques photos pour terminer sur l’hôtel particulier renfermant les collections de l’Institut Giacometti; un bijou d’architecture du début du XXe siècle.





Johnatan Savarit