Il y avait ici, à Fontainebleau, dans l’aile Louis XV, au fond d’un couloir une porte scellée. Une porte scellée depuis plus de 100 ans. Un siècle qu’elle n’avait pas été ouverte. Est-ce un leurre ? Est-ce un secret qu’elle renferme ? Cette porte fermée possédait un don, un don particulier d’attiser notre curiosité. Est-ce un don ou est-ce une malédiction de vouloir savoir ce qui se cache derrière ?

Après plus d’un siècle… un espace sort de sa torpeur. Des couloirs sombres, du mobilier poussiéreux, des papiers-peints décollés, des parquets ternis, des portes qui grincent … bref un véritable trésor à l’état brut qu’il fallait restaurer pour redonner de l’éclat à cet espace. Mais au fait où sommes-nous ? Comme disait André Malraux, partons alors à la conquête de la culture, ici de ce théâtre impérial longtemps oublié. Un petit bijou conservé dans son magnifique écrin de dorures, de tentures damassées et de soieries.






c- Gilles Coulon et Sophie Lloyd / Conservation en chef du château de Fontainebleau
« La culture ne s’hérite pas, elle se conquiert ».
André Malraux
Un plongeon dans le XIXe siècle où Napoléon III laisse son empreinte dans le fabuleux chantier du château de Fontainebleau. En effet, en 1853,lui et son épouse l’impératrice Eugénie décident d’installer au château de Fontainebleau un théâtre. Ils confient le chantier à l’architecte Hector Lefuel. Fils d’entrepreneur versaillais, admis à l’école des Beaux-Arts, il sera Lauréat du prix de Rome et pensionnaire de la villa Médicis. Il réalisera alors la rénovation du Palazzo Renai à Florence, soit 51 pièces disséminées sur quatre étages. A son retour en France, il ouvre un atelier, puis en 1853, il sera chargé par Napoléon III et Eugénie de concevoir une salle de 400 places dans le château de Fontainebleau. Il sera ensuite amené à travailler sur le chantier du Louvre et plus particulièrement sur le pavillon de Flore et la partie ouest de la grande galerie.


Ici, soieries, moquettes flammées et dorures donnent du clinquant au lieu. Inspiré directement du petit théâtre de Marie-Antoinette à Trianon (Versailles), c’est le dernier témoin d’un théâtre de cour ayant conservé tous ses dispositifs historiques : salle, scène, machinerie, décors, décoration …. Inauguré en 1857 en présence du grand-duc Constantin de Russie, frère du tsar, la salle ferme ses portes 10 ans plus tard. Des logements avaient été prévus pour le personnel et les artistes venant de Paris ou d’ailleurs. Seulement, sur les planches, l’on a pu voir qu’une dizaine de représentations. Quoiqu’il en soit, le but, comme dans beaucoup de théâtres, n’était pas de voir ce qui se passe sur la scène mais de voir ce qui se passe dans la loge impériale. Et les années s’écoulaient … sans qu’il ne subisse de modifications ou de modernisation. Il sera de nouveau utilisé lors de l’occupation allemande durant la Deuxième guerre mondiale pour ensuite retomber dans l’oubli jusqu’au début du XXIe siècle.

« Il y a des œuvres qui font passer le temps, et d’autres qui expliquent le temps ».
André Malraux.
Place à la Renaissance d’un théâtre .
En 2007, un accord entre la France et l’Emirat d’Abu Dhabi a été conclu afin de redorer le blason du théâtre impérial du château de Fontainebleau. Le Cheikh Khalifa bin Zayed Al Nahyan a donné son accord pour débourser l’équivalent de 10 millions d’€. La restauration de ce lieu singulier a pu alors démarré et la campagne a duré près de 12 ans. Cette Renaissance a été réalisée en deux phases. La première concernait la salle et le foyer, la deuxième était relative à la scène, la machinerie et les espaces périphériques. 80% des matériaux d’origine ont pu être conservés. C’est un véritable témoignage des arts de la scène et des arts décoratifs du Second Empire.



« Cette restauration illustre la dynamique engagée par le château depuis 10 ans. Notre mission est en effet, avec l’aide de mécènes et des partenaires publics et/ou privés, de préserver ce patrimoine remarquable et de le rendre accessible au public le plus large ».
Jean-François Hebert, président du château de Fontainebleau.

Se révèlent ici la fascination d’un art scénique et les secrets du fonctionnement du théâtre avec ses décors anciens et sa machinerie d’origine. Un diamant qui éclaire de toutes ses facettes ce cocon qui ne laisse personne indifféremment.
« Il n’y a pas de civilisation dans art ».
Cheikh Abdullah bin Zayed Al Nahyan, ministre des affaires étrangères.
« C’est un lieu d’un luxe absolu, une espèce de coquille incroyable figée dans le temps ».
Vincent Cochet, conservateur en chef du château.



c- Gilles Coulon et Sophie Lloyd / Conservation en chef du château de Fontainebleau
Inauguré depuis le 18 juin 2019, revivez vous-aussi l’âge d’or de ce lieu dans la salle et sur la scène à travers des anecdotes, des secrets et des confidences. Nous avons pu déambuler dans les nombreux couloirs, découvrir comment l’architecte a pu intégrer une salle aussi vaste dans un bâtiment pré-existant, comment le chantier n’a duré au final que 4 petites années entre la demande et l’inauguration. Le jeune guide – qui se prénommait Kevin – nous a livré une performance digne d’un artiste sur scène. Mise en ambiance, suspens de la découverte de chaque espace, il a su ménager notre envie d’en découvrir toujours plus à force d’ouvrir les portes les unes derrières les autres.






Au final, un excellent moment de ravissement, de partage et de découverte que l’on doit à plusieurs personnes : Napoléon III et l’impératrice pour leur soudaine envie d’installer loin de Paris un théâtre impérial, la direction du château et le Cheikh Khalifa bin Zayed Al Nahyan pour leur entente et le financement de la restauration de cette véritable pépite ainsi que le guide qui a su faire vivre ce moment en remontant le temps dans la France impériale du milieu du XIXe siècle. Allez-y les yeux fermés … ou plutôt grands ouverts pour ne rien rater de ce moment impérial.
Johnatan Savarit