Se perdre dans Chambord, à aller sur les terrasses tout en haut, parcourir le célèbre escalier à double révolution, traverser cinq siècles d’histoire en parcourant les appartements, c’est le programme de ce château sorti tout droit de l’imagination d’un seul roi : François Ier. Au milieu des marécages, des forêts giboyeuses et d’une nature omniprésente, un homme monte un cheval et part à la chasse. Stoppant sa monture, il scrute l’horizon et, soudain, perçoit quelque chose. Une idée jaillit de son esprit, comme une volonté sans aucune mesure, de planter ici un château qui serait le miroir de son règne, de ses victoires et de sa puissance politique, culturelle, artistique et économique.

« Plantez donc ici ma demeure ». Et oui, c’est bien le terme, puisque ce château est construit sur une forêt de pieux plantés dans le sol afin de lui octroyer une assise confortable. Il faut avoir en tête, qu’à la base, ici, le terrain est recouvert de marais. Ce qui rend le terrain très peu propice à la construction d’un tel édifice. Peu importe pour François Ier, le rêve de grandeur doit surpasser les problèmes techniques. Il veut un monument à sa gloire et pour la postérité de la France. En ces temps de confinement et cette difficile période qu’est l’année 2020, nous vous proposons alors un voyage dans le temps à la découverte de ce château sans précédent, sans aucune mesure, sans aucun pareil. Portez donc un nouveau regard à destination de Chambord.






1515. Le destin de Chambord s’est sans nul doute joué à une cinquantaine de kilomètres de là, dans un autre château très connu du Val de Loire, le château d’Amboise. François Ier y vit accompagné de sa sœur aînée Marguerite et de sa mère Louise de Savoie. En janvier 1515, il monte sur le trône. Ce jeune homme d’1,98 m, imposant, charmeur, aux larges épaules va savoir imposer son style. Tous les princes et ambassadeurs sont conquis par ce jeune roi.

Pour François Ier, un prince doit autant s’intéresser aux arts qu’aux armes. Suite à sa victoire à Marignan en 1515, lui conférant le contrôle du duché de Milan, il devient une des figures incontournables de la scène internationale de l’époque. Il va alors être peint comme un roi triomphant à de nombreuses reprises, dont la fameuse peinture où il est adoubé par le chevalier Bayard. Il veut alors compléter cette image du guerrier par une image d’un grand roi en remodelant certains grands châteaux existants comme Blois ou Amboise. Cela ne lui suffit pas. Il décide alors de construire un chef-d’oeuvre, son chef-d’oeuvre. Chambord est alors un rêve, son rêve et un cadeau pour la postérité de l’histoire de France.





L’architecture comme un langage. Ici, l’on est réellement invités à décrypter, pierre après pierre, ce château afin de comprendre ce que François Ier a voulu dessiner. A l’instar d’une enquête, depuis 500 ans, ce château est auréolé de nombreux mystères. A commencer par son architecte… Nous ne savons absolument pas qui en a été l’architecte. Est-ce le roi lui-même ? Est-ce un artiste ? Est-ce un collectif ? L’enquête sur ce château nous emmène irrémédiablement sur la piste d’un des plus grands génies de son temps, le très célèbre Léonard de Vinci. En effet, en comparant la construction du château et des plans ou croquis que l’artiste italien a laissé derrière lui, beaucoup de similitudes et de liens peuvent être faits.





Focus sur Léonard de Vinci. Peintre, architecte, hydraulicien, anatomiste … bref un artiste complet qui fut un des ambassadeurs auprès du roi, Léonard de Vinci se révèle être aussi un père spirituel pour François Ier. Cette rencontre heureuse à Amboise, entre 1515 et 1519, s’inscrit dans ce flux incessant d’échanges commerciaux, artistiques et culturels entre l’Italie et la France de la Renaissance. Léonard a aimé dessiner dans ses carnets de croquis des escaliers à volets multiples dont un escalier quadruple, ce qui peut-être préfigure l’architecture de l’escalier à double volets de marches parallèles de Chambord. Il dessina également des modèles de plans centrés, dessinés en série pour la construction d’églises. En 1519, l’artiste s’éteint. Il repose dans la chapelle Saint-Hubert du château d’Amboise. 5 mois après la mort de ce génie, le chantier de Chambord peut commencer grâce à l’action de 1800 ouvriers, qui vont alors se relayer pour réaliser le souhait du roi.

Voyage au cœur de l’édifice. Résolument de la Renaissance, François Ier souhaite ici l’édification d’un énorme donjon de plan carré, comme une croix grecque. Symétrie et élévation sont les maîtres mots de ce chantier. A chaque niveau, le même ordonnancement. Un carré composé au centre d’un gigantesque escalier à double révolution distribuant alors quatre salles L’escalier est ici sans conteste la star des lieux. Avec son noyau creux et ses deux rampes s’enroulant autour de ce dernier, il serait l’oeuvre de Léonard de Vinci. Ici, l’escalier se voit de partout. Jusqu’ici, on essayait de cacher les escaliers dans des tourelles ou alors de les construire hors d’oeuvre (comme à Blois par exemple). L’escalier devient alors une sorte de théâtre, de parade. Ici, ce qui est inédit n’est pas la double révolution, mais le fait qu’il soit mis en valeur et à la vue de tous. Quelques chiffres pour vous donner le tournis et la mesure de cet ensemble unique : 9 étages en tout distribués comme suit : trois niveaux principaux, trois entresols, un niveau de toits-terrasses et deux niveaux de combles. A la base du projet, 48 appartements sont réalisés sans compter ceux qui seront par la suite aménagés dans les double-combles. Tous ces logements de courtisans sont alors standardisés, offrant les mêmes espaces et la même taille.




Au deuxième étage, ce qui nous emporte, c’est réellement la voûte en caisson en anse de panier avec de multiples représentations de la Salamandre et des fameux « F », le tout entouré de cordelières à nœuds faisant référence à la famille de Louis de Savoie, la mère de François. La Salamandre, emblème par excellence du roi de France est accompagnée d’une devise autour, « je me nourris du bon feu et j’éteins le mauvais feu ».









En haut de l’escalier à double révolution, les toits-terrasses nous offrent un panorama extraordinaire à 360°. Entouré de tourelles, de souches de cheminée, de lucarnes et au centre de la tour-lanterne qui surmonte l’escalier à double révolution, on se croirait dans une sorte de petite village céleste au-dessus de tout. La fleur de lys surmontant la plus grande tour du château est une invitation à s’élever le plus haut possible, tout en rappelant qu’ici, celui qui est le plus élevé reste bien évidemment le roi de France, François Ier. La fleur de lys, culminant à 56 mètres de hauteur, est un symbole d’intercession du roi entre la terre et le ciel, entre les humains et Dieu. Tout autour, la pierre blanche de tuffeau est éclatante à la lueur des rayons de soleil. Cette blancheur est vivement contrastée par des incrustations d’ardoises. En mélangeant tuffeau et ardoise, on essaie de retrouver les contrastes des palais italiens de l’époque qui, eux, mélangeaient marbre de carrare et marbre noir.






Sous nos yeux, aux pieds du château et s’étendant au loin, les 1000 hectares de promenade et de parc. Par ici, touchant au plus près le château, ont été restitués les jardins à la française. Ces derniers avaient été conçus sous Louis XV en 1734. Comme une sorte de dentelle végétale, ici, la nature fait corps avec l’architecture.



Tout en haut, une promenade sous la charpente à chevrons forme en ferme est un incontournable. Accessible uniquement lors de visites guidées, cette charpente, composée de chevrons de 16 mètres de longueur tenus par des jambes de force, est un œuvre dans l’oeuvre.


Un monument pour éblouir. Ici, tout est pour éblouir le monde, pour montrer son prestige, sa puissance et sa richesse. Un des plus célèbres hôtes accueillis ici, reste Charles Quint, qui les 18 et 19 décembre 1539, s’exclamera : « j’ai vu ici l’abrégé de ce qu’est l’industrie humaine ». François Ier avait bien compris le sens de la révolution et de la modernité en s’entourant d’intellectuels. Il est le père des arts et des lettres. Il a été un grand mécène auprès d’artistes comme Léonard de Vinci ou encore Giralamo della Robbia. Ce lien indéfectible entre pouvoir monarchique et artistes se perçoit bien dans son œuvre. Louis XIV viendra également à Chambord entouré d’artistes lui aussi comme Molière. Ce dernier écrira dans ces murs la fameuse pièce « Le Bourgeois-Gentilhomme ». Comédie ballet, cette pièce sera donnée par le roi à toute sa cour dans le château de Chambord au mois d’octobre 1670.

Retour sur l’exposition « Pompidou et l’art, une aventure du regard ». Une des expositions temporaires qui m’a marqué est celle qui avait été organisée en 2017. Cette année, le centre Pompidou de Paris fêtait ses 40 ans. L’occasion alors de promouvoir l’action de l’homme politique pour la célébration de l’art en France. Pompidou, l’art et Chambord étant étroitement liés, cela a donné naissance à une exposition conjuguant les trois amours de Pompidou : l’amour de l’art, de l’architecture et de la chasse.








Entre création contemporaine et ameublement, bienvenue ici dans les années 1960-1970. On se croirait presque par moment dans les films de De Funès – comme Oscar par exemple – vu les canapés exposés et autre décorations de l’époque. Sous les voûtes à caisson du deuxième étage, dans 6 salles et 3 cabinets, les visiteurs ont pu apercevoir plus de 90 œuvres, le fameux salon Paulin de l’Elysée ainsi qu’un très beau et émouvant film retraçant alors la passion de l’art pour Georges et son épouse Claude Pompidou.

Restaurations du XIXe siècle. Lorsque le duc de Parme a pris possession du domaine au XIXe siècle, il a bien voulu confirmer aux architectes déjà en place, sa confiance, faisant connaître son intention de continuer les réparations commencées par son oncle. Pour ne donner qu’un exemple, nous ne citerons que quelques travaux qui ont été réalisés courant des années 1880 : réfection entière de la voûte plate portant la partie rectangulaire des terrasses des communs et consolidation des planchers de cette terrasse ainsi que la réfection à neuf de la couverture de la lanterne et la tour Robert, angle nord du château avec clous en cuivre. 1888.





Quelques chiffres éloquents. L’escalier à double révolution mesure 9 mètres de diamètre pour 6 mètres de hauteur à chaque niveau. La fleur de lys culmine à 56 mètres de hauteur. 1533 est la date de fin de chantier pour le donjon. 42, c’est le nombre de jours passés par François Ier dans ce château. 300 cheminées, 440 pièces à l’intérieur, 77 escaliers, un mur d’enceinte de 32 kilomètres sur 2 mètres de hauteur … complètent le gigantisme de ce projet fou planté au beau milieu d’une des plus belles réserves de chasse du roi.

La démesure du château de Chambord qui a fêté ses 500 ans en 2019. Et aujourd’hui, en cette année 2020, particulièrement freinée par la crise sanitaire, Chambord débute tout juste son 6e siècle d’existence. Une longévité séduisante.
Johnatan Savarit